Maève est une jeune fille au premier abord sans histoires, sans contours définis, lisse. Une pate modelable au gré des rencontres. Et pourtant si la demoiselle porte un masque de glace polie devant tout le monde, il se cache derrière celui-ci une âme un peu trop vieille pour ses quinze ans, qui regarde le monde avec des yeux adultes et emplis de regret. Maève aborde la vie du coté poésie, appréciant les petits plaisirs sans jamais réver à plus, sans oser demander d'émotions fortes. Elle est presque serviable et facile à faire rougir, mais les mots d'amour susurrés dans son oreille ne lui font le plus souvent ni chaud ni froid. Ce qu'elle aime c'est écouter les professeurs parler et regarder les gens passer devant les fenètres, le calme et la musique douce. Lorsqu'elle se met en colère, elle garde tout pour elle, et devient simplement plus froide et cassante, bouillonnant intérieurement sans avoir de sortie de secours. Elle pleure pour des choses insignifiantes, comme un animal blessé, mais dés qu'on aborde des sujets plus graves, c'est les yeux secs qu'elle affronte la discussion. Petite poupée élevée pour faire plaisir à son futur époux, elle caresse pourtant l'espoir de rester indépendante, et de toucher du doigt la liberté que d'autres prennent pour acquise.

Elle n'avait même pas deux ans, mais déjà son sourire était ancré profondément sur son visage. Toujours à rire, sourire, danser au son des violons de son oncle, comme une petite fée, sans les oreilles pointues. Collant ses mains visqueuses sur les joues de sa mère après un repas avalé avec un peu de difficulté, pour un calin de bébé, tenant les poignets de Tybalt pour que chacun de ses pas soit une réussite, tirant sur les doigts de sa sœur pour la faire venir voir une chose nouvelle. Émerveillée de tout ce qui l'entourait et baignée de l'amour des siens. Pas un jour sans un baiser, une confidence, une dévotion éternelle. Oui, Maève était l'enfant qu'on a tous révé être. Aucune séparation n'était nécessaire, sa mère était toujours là, attentive à ses moindres besoins, elle avait un papa auprès de qui se réfugier si un cauchemar faisait son apparition, elle avait Tybalt et Miranda. Une infinité de jours se répétant en jeux et rires, en sorties dans les plaines, sous la pluie ou le soleil. L'odeur des gateaux dans la cuisine immaculée et les plans mal faits pour attirer ailleurs les elfes et chiper dans l'assiette les biscuits encore chauds, sans jamais savoir qu'ils étaient déposés là uniquement pour eux. Des heures à tracer du doigt le contour de vieux tableaux emplis de dames aux sourires chaleureux, de lords sévères mais dont la bouche ne restait jamais longtemps froide.

Elle en avait quatre, et les mains dans la peinture, elle représentait sa famille, la langue tiré et son mignon petit visage concentré sur sa feuille, ne se sachant pas observer par sa mère et son oncle. Un appareil à la main, il prenait photo sur photo de ses petites mimiques adorables, tandis qu'elle s'appuyait contre lui, les yeux dans le vague. Que voyait-elle, sa mère ? Sa petite fille, ou bien quelqu'un d'autre, un absent dont la présence était pourtant palpable dans chaque rire de son enfant, dans ses yeux et son nez, dans sa manière de faire la moue. Un petit cri de frustration échappant à Maève la fit sortir de ses pensées et rire doucement, attirant son attention, la faisant se lever et s'étaler presque aussi vite sur la peinture, ruinant une belle robe blanche. Et une nouvelle photo pour l'album.

Elle en avait six, et Tybalt était sur cet arbre. Tout en haut, bien trop haut. Avec ses cheveux bouclés dans le vent, l'air exatique, il ressemblait à un oiseau. Prêt à s'envoler, les bras écartés, retenu à l'arbre par une simple branche soutenant son poids. Libre. Miranda n'était plus là, partie en courant vers la maison, silencieuse pour conserver son souffle, allant prévenir les adultes. Mais ils n'arriveraient pas à temps, et Maève était toute seule pour convaincre son cousin de revenir à lui, de redescendre. Ne saute pas! Avec le mal être lui disant qu'une chute serait...mauvaise. Et alors qu'il se laissait enivrer pour de bon, que son pied droit rencontrait le vide, il suffit d'un hurlement pour que le temps ne se fige. Dans le lointain, à l'entrée du manoir, c'était un autre cri de désespoir qui lui répondait, Franklin voyant son fils se jeter dans le vide sans rien pouvoir y faire. Et petite Maève jetant ses bras au dessus de sa tête, poussant. Les yeux déterminés, inconsciente du reste du monde, concentrée sur cette simple commande. De pousser Tybalt vers le haut. Et même les rires délirants du petit garçon et ses « Je vole, je vole! » ne l'atteignaient plus, petite chose tremblante, jusqu'à ce qu'une autre magie prenne le relais, et qu'elle se retrouve serrée, compressée contre son oncle, tremblant lui aussi. Son odeur masculine lui emplissait les narines et l'enfant se permit de lâcher prise, se blottissant contre lui, comprenant sans qu'on lui dise qu'elle avait fait ce qu'il fallait. Avant de s'évanouir, épuisée.

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